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Classé dans SERVICES PUBLICS le 24-02-2008

Un événement sans précédent contre le démantélement des services publics par raffarin

Résistance en Creuse désertifiée : le 5 mars à Guéret, debout !

jeudi 24 février 2005

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Interview de Philippe Breuil, conseiller général socialiste du canton de La Courtine.

Il est un des 263 élu-e-s qui avaient remis leur démission au préfet le 23 octobre 2004 pour protester contre la fermeture de services publics en Creuse, lors de l’assemblée générale départementale de l’association des maires de France. La presse nationale avait fortement médiatisé cet événement et couvert la manifestation du 13 novembre 2004. Reconnu comme le principal « porte-parole  » des élu-e-s démissionnaires, Philippe Breuil a depuis été réélu, seul candidat d’une cantonale partielle où la droite locale emmenée par le député Ump (franchement réactionnaire) Jean Auclair n’a pas réussi à trouver un candidat à lui opposer.

D&S :Quel bilan tires-tu du mouvement de démission des élu-e-s ?
Philippe Breuil : Je suis partagé, on a obtenu un gel de la fermeture des trésoreries menacées et donc la mobilisation paye. Cela dit en réfléchissant sur la façon dont nous avons mené le mouvement, je mesure que nous n’avons pas totalement réussi à le propager à tous lés élu-e-s du département au-delà des cinq cantons mobilisés. Notre spontanéité a été une force mais l’expérience que j’en retire, alimentée par les exemples des mouvements du Larzac ou plus récemment pour sauver l’Hôpital de St-Affrique dans l’Aveyron, est qu’il faut un réseau et des appuis à l’image du  » collectif creusois de défense et de développement des services publics  » qui regroupe 21 organisations politiques, syndicales et associatives. On a quand même redonné un peu d’oxygène aux luttes locales et j’espère nationales grâce à la médiatisation. On a aussi vaincu une forme de fatalisme local.

D&S : Tu as été réélu…
Ph.B : Pour moi en démissionnant j’ai voulu représenter la population. Pour un élu j’estime que c’est un acte fort. Je me suis logiquement représenté pour demander que les citoyens et citoyennes légitiment notre colère et notre réaction face au gouvernement et aux pouvoirs publics qui nous méprisent en tant qu’élus locaux. Il y a deux choses à noter qui me font plaisir. La première c’est que la droite, n’a pas trouvé de candidat dans le canton qui veuille aller contre ce mouvement ni juger jouable de nous en parachuter un. Le deuxième qui est encore plus important c’est que 54 % des inscrits sont venus voter. En effet le piège aurait été l’abstention massive qui caractérise ce genre de partielle. Le même jour, l’élection à plusieurs candidats qui visait à remplacer Philippe de Villiers au Conseil général de Vendée n’a enregistré qu’une participation de 37 % de la liste électorale. Notre mouvement s’est ainsi révélé en phase avec la population.

D&S : Comment juges-tu l’attitude de l’Etat et de ses représentants ?
Philippe Breuil : Nous les élu-e-s de ces cinq cantons, avions eu la visite du préfet, sans qu’il soit question de fermetures et nous les avons appris par la presse 48h après, nous n’avons pas supporté. Pour Edf, les bureaux de poste, rebelote. Mépris et désinformation sont les caractéristiques de la  » sourdingue attitude  » du gouvernement. Les mêmes causes vont produire les mêmes effets. Ici nous ne voulons pas des  » maisons  » de services publics. On veut de vrais services publics et les moyens nécessaires. A titre d’illustration, dans mon canton de La Courtine, France Télécom n’a pas encore totalement relevé les lignes téléphoniques endommagées par la tempête de 1999 quand Edf avait tout remis d’aplomb en quelques semaines.

D&S : comment qualifier la relation entre le collectif creusois de défense des services publics et l’action des élu-e-s ?
Ph. B : Une belle complémentaire, le collectif assure depuis trois ans le travail de fond, notre mouvement de protestation lui a donné une grande bouffée d’oxygène. Il est reparti de plus belle en organisant la manifestation du 13 novembre qui nous a assuré le soutien populaire et en appelant à cette rencontre nationale des collectifs de défense et de développement des services publics suivie d’une manifestation nationale le samedi 05 mars à Guéret. Nous sommes en pleine démocratie participative.

D&S : Qu’attends-tu du 05 mars ?
Ph. Breuil : Une grosse mobilisation nationale. Ce serait une belle pierre à l’édifice des développements ruraux et urbains. Pour les services publics : ville et campagne même combat.

D&S : Quelle exigence as-tu vis à vis du projet des socialistes ?
Ph. Breuil : La gauche et la droite ont des valeurs différentes. Il nous faudra nous différencier clairement de l’action de la droite au pouvoir sur les services publics, l’égalité des territoires. Aujourd’hui les valeurs marchandes l’emportent sur l’humain. J’attends de la gauche au pouvoir qu’elle revienne sur ces mesures que nous combattons. Les services publics ont prouvé leur efficacité. Il ne faut seulement les défendre mais aussi les promouvoir et les développer. Pour cela il nous faudra une volonté politique forte.

Interview réalisée par David Gipoulou (correspondant D&S en Creuse)


Appel à la manifestation du 5 mars

 » En Creuse comme ailleurs défendons les services publics  » Vers la  » nationalisation  » du mouvement creusois – manifestation nationale de défense et de développement des services publics à Guéret le 05 mars 2005.

Loin d’entretenir une mentalité de village gaulois isolé, ou de nombril du monde, les membres du  » collectif de défense et de développement des services publics creusois  » ont complètement conscience que leur lutte et leurs objectifs sont à l’unisson de dizaines de collectifs du même type, souvent locaux, en France. Pourtant c’est en Creuse que les médias ont récemment porté leur attention et ouvert une fenêtre médiatique pour souligner la démission spectaculaire de 263 élu-e-s creusois, dans cinq cantons le 23 octobre dernier. La présence au sein du collectif de 21 organisations politiques, syndicales et associatives (Attac 23, Association de Défense et de Développement des Services Publics de Saint-Vaury, de Combraille, Comité pour le maintien de la Gare de Saint-Sébastien, Fcpe, Fgr, Ldh Limousin, Unrpa, Cfdt, Cgt, Confédération Paysanne, Modef, Fsu, G10 Solidaires, Unsa-Education, Lcr, les Verts, Prs, Pcf, Ps, Mjs Limousin.) n’y est sans doute pas étrangère. Cette médiatisation qu’ici tout le monde savait éphémère a fait germer l’idée d’ajouter une pierre à l’édifice de la prise de conscience générale du besoin de la gestion publique ou collective du bien commun.

Le phénomène n’est pas neuf en Creuse, car voilà prés de trois ans que sont nés à l’initiative du conseil général des  » états généraux des services publics « . Une coordination a vivoté un temps, avant qu’Attac 23 ne relance le processus il y a un an et demi, en associant les dimensions syndicales et politiques à diverses associations d’usagers défendant qui leur école, leur bureau de poste, autres ou tout cela à la fois. Une première manifestation le 04 février 2004 avait réuni 700 à 800 personnes à Guéret à la surprise de beaucoup de pronostiqueurs (la plupart des manifs ici enregistrant des participations de 150 à 500 personnes.) Poursuivant son travail de fond dans un contexte de morosité sociale, le collectif s’est trouvé dopé par la Fronde des élus (cf. interview).

Pour Bernard Defaix (président d’Attac 23) le porte-parole du collectif,  » en même temps que le collectif retrouvait de la vigueur, il nous est apparu la complémentarité des deux actions. Les élus ont apporté l’oxygène et nous les braises. La force de cette alliance, qui peut s’exprimer différemment ailleurs (en Charente les élus adhèrent au collectif départemental), nous a permis d’ouvrir la perspective d’une rencontre nationale des collectifs à Guéret. Nous savons modestement que nous ne pourrions en faire plus avec efficacité sur un plan national. Nous faisons le pari de mettre l’énergie et la fenêtre médiatique qui en a découlé au service de la création d’autres collectifs et d’une coordination nationale de ceux-ci. Il nous est d’une certaine manière indispensable de  » nationaliser le mouvement  » pour une pleine prise de conscience par les citoyens et citoyennes. Conserver l’alliage à trois dimensions que nous connaissons (politique, associatif et syndical) nous semble indispensable à sa pérennité ».

Bernard Defaix apprécie les prises de position de Gérard Filoche, qu’il avait rencontré l’année dernière à Guéret sur la réforme du code du travail. Connaissant D&S et son objectif d’ancrer le PS à Gauche, il a tenu à ajouter qu’il  » attendait du Parti Socialiste (dont il n’est pas membre) qu’il prenne en compte la poussée anti libérale qui grandit dans ce pays. Avoir un projet à gauche serait notamment défendre l’idée que la société doit comporter un secteur public économiquement puissant pour contribuer au partage des richesses et socialement déterminant pour tirer les droits des salarié-e-s vers le haut « .

David GIPOULOU

événement

Guéret capitale de la résistance au libéralisme

Guéret (Creuse), envoyé spécial.

Vingt-trois, la Creuse, Guéret. Seuls ceux qui n’ont pas tout oublié de l’école – primaire savent que Guéret est le chef-lieu d’un département français niché dans le Limousin. Du moins avant que n’ait lieu la rébellion de ses – habitants et élus, qui ont réussi à défrayer la chronique avec la démission retentissante –

de 263 de ces derniers en

novembre 2004, sortant la petite préfecture de l’indifférence dans laquelle on la tenait. Une indifférence cultivée tout particulièrement au sommet de l’État, resté jusqu’alors sourd aux protestations répétées de sa population face aux fermetures en cascade de ses services publics. En l’espace de quelques mois, Guéret est ainsi devenu le haut lieu de la lutte contre une « fatalité » à laquelle ne se résolvent pas ses habitants et ses élus. Ce samedi, la ville attend dans ses rues des manifestants venus de tout le pays. Ceints de leur écharpe tricolore pour les élus, ou de pancartes et banderoles interpellant les pouvoirs publics pour les autres, les participants devraient former un rassemblement qui fera date dans cette ville de 14 000 habitants, au dire des organisateurs. « Entre 5 000 et 8 000 personnes » sont attendues, estiment-ils, parmi lesquelles de très nombreuses délégations nationales d’associations, de syndicats et de partis politiques (1).

Un déferlement inhabituel, car on ne vient pas à Guéret par hasard. S’il y a bien une gare SNCF, il faut pour rallier la ville prendre l’autocar depuis La Souterraine, seule station du département desservie par les grandes lignes joignant Paris aux capitales régionales, ou se résoudre à pousser le détour jusqu’à Limoges, pour emprunter la seule correspondance locale par voie ferrée. Un enclavement qui résume à lui seul le drame vécu par la population creusoise.

Pourtant, la Creuse n’a pas ménagé ses efforts pour enrayer ce déclin programmé, parvenant même à inverser, à l’aube du nouveau siècle, le mouvement d’érosion démographique qui l’enlisait peu à peu. La démission spectaculaire de ses élus à la suite de l, en novembre 2004, de fermer cinq bureaux de perception n’était pas un coup de tonnerre dans un ciel serein.

Dès mai 2003, le conseil général organise des assises des services publics à l’échelle du département. Celles-ci donneront naissance au Collectif creusois pour la naissance et le développement des services publics, à l’initiative de la manifestation de samedi. En février 2004, l’abandon du POLT par le gouvernement Raffarin, projet de train pendulaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse qui devait permettre de désenclaver le département, donne lieu à un premier coup de semonce des habitants et des élus. 800 personnes manifestent, mais le gouvernement ne bronche pas. Un nouveau coup dur qui vient s’ajouter à la longue liste des fermetures de postes ou d’écoles dans le département. Rien ne semble alors en mesure d’ébranler le gouvernement, engagé dans un mouvement de « décentralisation » qui consiste à se délester de pans entiers de ses missions, abandonnées aux collectivités qui ne savent comment faire face.

Raffarin sur

la défensive

C’est dans ce contexte d’inquiétude pour les services publics qu’intervient la manifestation du 13 novembre, où 1 500 personnes défilent cette fois à Guéret, aux côtés de leurs représentants démissionnaires. Le mouvement fait tache d’huile et de nombreux autres départements confrontés à des difficultés semblables entrent dans la danse. Dans le Morbihan, en Charente, des collectifs se créent. Au point d’obliger Jean-Pierre Raffarin à revoir sensiblement son discours lorsqu’il monte à la tribune du congrès des maires de France, le 16 novembre 2004. La tension est forte chez les participants, qui attendent le premier ministre au tournant. Pour désamorcer la colère, le premier ministre s’engage alors à réunir une « conférence nationale des services publics en milieu rural ». Sa première séance, qui devait se tenir en Creuse, s’est tenue à Paris, le 17 février dernier. Jean-Pierre Raffarin s’y est engagé à une concertation préalable à toute réorganisation des services publics.

Une annonce pour temporiser, mais qui ne suffit pas à faire baisser la garde. D’autant qu’à côté de ces discours le conseil municipal de Guéret a appris cette semaine par son maire, qui préside aussi le CA de l’hôpital de la ville, que « 200 millions d’euros sont

retirés aux moyens hospitaliers de la région, dont 150 000 euros pour le seul hôpital de Guéret », rapporte Alain Teissedre, secrétaire du PCF de la Creuse. « Vous ne pouvez pas parler de développement économique des territoires ruraux si vous n’avez pas en même temps un service public qui correspond aux besoins des gens qui s’installent », insiste Michel Vergnier, le député maire (PS) de Guéret. « On passe notre temps à pallier les carences de l’État mais il y a des limites. Aujourd’hui on dit stop, terminé », ajoute Gérard Pelletier, président des maires ruraux de France, dont 98 % soutiennent le mouvement d la Creuse, selon un sondage IFOP-la Croix.

La constitution, invitée surprise

« Le rapport entre les services publics et la constitution est établi par énormément de gens, mais nous avons été très clairs là-dessus : c’est une manifestation pour les services publics et pas pour ou contre le traité », rappelle de son côté Bernard Defaix, porte-parole du collectif. Pas d’exclusive sur cette base donc, pour un rassemblement qui se veut le plus large possible. Ce qui ne signifie pas de mettre ses convictions dans la poche. Les socialistes locaux sont majoritairement hostiles au traité. Et les communistes n’omettent pas de rappeler l’imbrication des questions, à l’instar de Daniel Dexet, conseiller général (PCF) du canton, qui a déclaré dans l’hebdomadaire la Terre cette semaine : « Si la constitution européenne vient à être adoptée, la porte se fermera définitivement sur le concept d’un service public tel que nous le souhaitons. » Autant dire que la constitution européenne sera sans doute l’invitée surprise de la manifestation, pas officiellement conviée, mais dont personne ne pourra ignorer la présence.

Sébastien Crépel

(1) Entre autres : PCF, PS, PRG, LCR, les Verts, MJS, CGT, CFDT, MODEF, Confédération paysanne, FSU, SUD, UNSA, UNEF, ATTAC, LDH, FCPE, Fondation Copernic, Organisation de défense de l’hôpital de Saint-Affrique, etc. De nombreuses personnalités seront présentes, comme Marie-George Buffet du PCF, François Hollande du PS, Georges Sarre du MRC, Yann Wehrling des Verts, Olivier Besancenot de la LCR, Didier Le Reste de la CGT cheminots, etc.

site région

Démission des élus Creusois : réaction de colère

Le 26 octobre 2004

Le Président du conseil régional du Limousin, au lendemain de la démission de 260 élus creusois, dénonce à son tour « la politique du fait accompli ». Il exprime avec force sa colère en constatant une accélération du mouvement de fermetures des classes, des bureaux de poste, des trésoreries, des gendarmeries… en fait, une véritable stratégie de démantèlement des services publics ruraux mis en œuvre par l’Etat.

Il exprime aussi son désarroi devant le refus des représentants de l’Etat ou des différents ministères d’engager le débat avec les élus locaux. Ce qui s’apparente pour lui à de l’autisme.

Jean-Paul DENANOT demande solennellement avec l’appui de l’ensemble des élus socialistes de la Région :

  • L’engagement d’un moratoire sur les services publics en milieu rural.
  • L’engagement d’un véritable débat sur l’aménagement du territoire national avec comme objectif l’instauration d’une véritable péréquation entre les territoires et l’expression d’une volonté politique de favoriser dans notre région l’accueil de nouvelles populations.

Au-delà de l’actualité, aussi douloureuse soit-elle pour les habitants du Limousin, le Président du conseil régional dénonce les dérives de l’esprit des lois de décentralisation qui engendrent de semaine en semaine les décisions gouvernementales, qui, sous couvert d’une décentralisation se traduisent par une volonté de l’Etat de recentraliser.

Le président du conseil régional du Limousin exprime enfin sa solidarité avec l’ensemble des élus creusois qui accomplissent au quotidien, sur le terrain, un travail remarquable et qui se sentent aujourd’hui méprisés par l’actuel gouvernement.

Accompagné des élus socialistes de la Région Limousin, Jean-Paul DENANOT participera donc à la manifestation du 13 novembre à Guéret.

jeudi 10 mars 2005

Guéret en « Une »/Boules de neige/L’unité nécessaire/Dissoudre le peuple ?

Bernard Langlois@

Porto Alegre, Porto Alegre, faut rien exagérer. Ni même le Larzac, hein ! Mais, tout de même, à l’échelle de la Creuse, plus de 6 000 manifestants dans les rues de Guéret, on n’avait pas vu ça depuis longtemps, l’avait-on jamais vu ? Presque un porteur de pancartes pour deux habitants, dites, Chaminadour (1) n’en revenait pas ! Et encore, une bonne dizaine de cars devant venir de Toulouse, Bordeaux, le Cantal, le Puy-de-Dôme, de plus loin encore, avaient dû renoncer au voyage pour cause de congères, le Bon Dieu et la météo se foutent bien des services publics, pour sûr. Comme chantaient gaiement quelques joyeux drilles : « Météo nationale, suppôt du capital ! »

Il neigeait, il neigeait toujours. Mais ce n’était pas une morne plaine.

C’était même plutôt plaisant à contempler, de quelque promontoire, toutes ces taches rouges, noires, vertes, jaunes sur l’épais linceul qui recouvrait la ville : ceux qui ont bravé les flocons, affronté le verglas et le brouillard, escaladé les pentes de nos montagnes à vaches tels Hannibal franchissant les Alpes avec ses éléphants (les copains de Corrèze notamment, venus par le plateau de Millevaches, une vraie promenade de santé…) n’ont rien regretté. Ce fut une belle journée de résistance, comme l’avait voulu le Collectif creusois pour la défense et le développement des services publics, organisateur de cette manif’ nationale qui, avant même de commencer, avait gagné la bataille médiatique : dès vendredi, la presse, les radios, les télés avaient largement annoncé l’événement. Nous eûmes même droit à la une du Monde, une première. Restait à confirmer sur le pavé. Et Bernard Defaix, président d’Attac-Creuse et porte-parole recru de fatigue, anxieux jusqu’à la moelle, grognant dans sa barbe blanche avant que le succès ne vienne récompenser ses efforts, pouvait enfin, au soir de cette grande journée, recueillir une ovation méritée. On la lui devait, en y associant bien sûr partis de gauche, syndicats et associations mêlés dans ce collectif unitaire qui n’avait qu’un seul mot d’ordre : mettre un coup d’arrêt à ce démantèlement constant, croissant, insupportable de ces biens publics que sont les services du même métal, dans tous les secteurs de la vie citoyenne, en milieu rural d’abord, mais aussi en ville. Les services publics sont des droits, ils relèvent du non-négociable, ils sont la condition même de la survie des territoires et du strict respect de la devise républicaine. Y associer aussi tous ces élus locaux ­ maires, conseillers municipaux, généraux, régionaux ­, ces 263 qui avaient, dans un beau mouvement d’ensemble qui fit choc en octobre dernier, roulé leur écharpe et démissionné de leurs fonctions pour dire : « Stop. C’est plus de jeu. C’est insupportable. » (2)

Car enfin, pourquoi Guéret, pourquoi la Creuse, sinon grâce à cette action d’éclat initiale qui a réveillé les consciences, imposé le gel des mesures de fermetures déjà inscrites au programme des fossoyeurs ?

Boules de neige

Le Collectif avait donc pris la suite. Parce qu’il est bon que les simples citoyens se mêlent de ce qui les regarde ; qu’ils ne laissent pas aux seuls élus le soin de monter au front ; qu’ils ne laissent pas aux seuls syndicats la tâche de se battre chacun dans son secteur ­ qui l’hôpital, qui La Poste, qui l’école ou la perception ­, mais qu’au contraire ils saisissent cette occasion d’unifier les bagarres dans un même front du refus. Ce refus, que nous portions tous ce 5 mars, de laisser transformer les usagers que nous sommes en clients que nous ne souhaitons pas être.

Il convenait pour ce faire de mettre l’accent sur ce qui rassemble, pas sur ce qui divise. Ce qui rassemble : la défense du service public ; ce qui divise : certain référendum qui se profile. Il était donc convenu qu’on laisserait le projet de traité constitutionnel hors du débat. C’était, bien sûr, illusoire. Les ateliers du matin (le travail d’élaboration de propositions par thèmes) se consacrèrent avec sérieux à traiter le thème du jour. Mais ni le défilé ­ où chaque orga déployait ses bannières ­, ni le débat du soir, qui venait clore la journée, ne pouvaient ignorer la campagne en cours et l’évidence du lien entre ces services publics en déliquescence et cette prétendue Constitution européenne qu’on entend nous fourguer en un débat biaisé. Alors, oui, les partisans du Traité ont été un peu chahutés. Les socialistes en premier, dont un paquet de dirigeants avaient souhaité se mêler à la foule (3), coincés qu’ils furent entre les gros bataillons de la CGT, de la FSU, de Solidaires, de la LCR, et tutti quanti.

La neige était tentante : on en fit des boules. Avec Hollande en cible privilégiée.

L’unité nécessaire

Le débat final en fut quelque peu déséquilibré : les ténors du PS avaient plié bagage, laissant au député-maire le soin de les remplacer. Sans problème pour lui, Michel Vergnier, défenseur affiché du « non » dans une fédé majoritairement réfractaire elle aussi.

Seul représentant du « oui » à la tribune, Alain Lipietz fit vaillamment face à une bronca qu’il fallut faire taire, et qui se tut finalement ­ heureusement, car Alain avait des choses intéressantes à dire, comme toujours, sur le tiers secteur notamment. Tous les autres orateurs, sans cacher leur opposition au traité, n’en firent pas le thème central de leurs interventions, s’en tenant au sujet du jour. Avec la claire conscience que, comme l’a notamment rappelé Annick Coupé (peu suspecte de mollesse dans la controverse politique…), si « le débat est légitime, l’unité est nécessaire » pour poursuivre le combat.

Car le combat se poursuivra, en d’autres lieux. Comme on disait en notre folle jeunesse : « Ce n’est qu’un début… »

Dissoudre le peuple ?

Reste un peu d’amertume chez certains socialistes. Comme ce copain conseiller général (et partisan du « oui ») qui me disait, au soir de la manif’ : « Regarde-les, tous ces gauchos. Ils se foutent bien du service public. Comme d’habitude, ils ne sont venus que pour casser du soce ! »

Voilà bien, je le crois très fort et le lui dis, l’erreur d’analyse à ne pas commettre. Nous assistons, aujourd’hui, dans ce pays, à une montée d’une exaspération populaire de plus en plus palpable. Et pas seulement ce jour-là, en cette petite ville-là. Et ce ne sont pas « les gauchos » seuls qui l’expriment. Faudra-t-il, selon la formule de Brecht, dissoudre le peuple ? Parce qu’ils ont été longtemps dépositaires des espoirs d’une autre politique, parce qu’ils ont trop souvent déçu cet espoir, parce qu’ils sont l’éventuelle relève d’une majorité et d’un gouvernement discrédités, les socialistes sont en effet en première ligne et essuient prioritairement les sarcasmes. C’est injuste peut-être pour beaucoup de militants et d’élus de base, qui n’ont pas le sentiment, dans leur action quotidienne, d’avoir démérité. Mais à s’obstiner à prêcher pour une Europe dont la soumission à l’ordre libéral ne fait plus guère question pour un peuple confronté au chômage, à la précarité, à la mal-vie qui se généralise, ils sont en train de se couper de leur électorat naturel, ou potentiel. Alors, on les fourre tous dans le même sac, celui-là même qui vient d’engloutir Gaymard, après bien d’autres. Celui d’une classe politique, d’une classe dirigeante en général (y compris médiatique : discrédit croissant de la presse) qui a perdu le sens commun (4). Qui ne parle plus le même langage. Emmanuelli a raison quand il dit qu’il faudra bien, au lendemain de ce référendum (que le « non » peut gagner, ou que le « oui » ne gagnera que de justesse, comme pour Maastricht), tenter de recoller les pots cassés si la gauche veut garder quelque chance à la présidentielle ­ dommage seulement qu’il soit obligé d’aller le dire sur France 3, chez le petit roquet du dimanche soir qui ne laisse pas placer trois mots de suite à ses interlocuteurs. Il a cent fois raison et il est hautement souhaitable que d’autres le disent avec lui, comme le font déjà Dollez, Mélenchon ou Filoche. Il y va de l’éthique de conviction contre l’esprit de parti, et celle-là doit primer sur celui-ci.

Il a raison, car un nouveau 21 avril nous pend au nez. Faudra pas venir pleurnicher.

(1) Nom de code de Guéret, comme on sait, dans l’oeuvre de Marcel Jouhandeau, enfant du pays, qui n’est pas ici en odeur de sainteté…

(2) Tous les détails et l’historique du mouvement sur le site du Collectif : http://www.gueret-5mars2005.net. À propos de démission, saluons ici Nicole Belloubet-Frier, rectrice de l’académie de Toulouse qui, pour les mêmes raisons (insuffisance des moyens), vient de remettre la sienne au ministre de l’Éducation.

(3) Outre le couple Hollande-Royal, Michel Sapin, André Laignel, Jean-Luc Mélenchon, René Teulade défilaient aux côtés des élus locaux. Tous les partis de gauche étaient représentés au plus haut niveau : Buffet, Besancenot, Wehrling, Sarre étaient annoncés et présents, comme Cassen pour Attac, Salesse pour Copernic, et bien d’autres.)

(4) À ne pas confondre avec le « bon sens », comme l’explique dans un petit bouquin épatant l’écrivain italien Raffaele La Capria : « Il ne se passe pas de jours sans que nous éprouvions douloureusement, en ouvrant le journal et en lisant les déclarations de nos dirigeants, de nos pères de la patrie, de nos meilleurs journalistes et directeurs de rédaction, de nos faiseurs d’opinion et persuadeurs clandestins, l’offense faite au sens commun. S’il pleut et que tout le monde le voit, pourquoi disent-ils qu’il fait beau ? À droite comme à gauche, on se fiche du monde. » LaMouche dans la bouteille, éloge du sens commun, Climats, 126 p., 13 euros.

pol-bl-bn@wanadoo.fr

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